vol au dessus d'un nid de coucous

Publié le par Anonyme

Jusqu'à il y a quelques mois, nous étions buralistes. Nous faisions tabac, loto, presse, dépôt de pain, boissons etc... Pendant ces années, nous avons croisé un tas de gens marquants, pour différentes raisons.

 

Je me souviens...

 

... de ceux qui ne prononçaient pas correctement et qui disaient "Rivesaltes" pour le papier à rouler "Rizla+" (prononcer rilacroi), qui demandaient du "Pierre Palmade" pour du tabac "Pall Mall" ou qui prononçaient "Nouwis" pour "News" (celle-là, on a mis un bon moment à identifier ce qu'elle voulait).

 

... des femmes qui avaient des enfants-rois et qui, pleines d'espoirs, passaient systématiquement la porte du magasin en disant très fermement "je te préviens, je n'achète RIEN" et qui repartaient systématiquement avec un dvd à 19 euros et des bonbons. On a même deux ou trois fois vu des gamins qui insultaient leur mère. A ceux-là, on a dit très clairement qu'on leur interdisait de parler comme ça dans notre magasin.

 

... d'une conne frustrée qui avait 3 ados et qui m'a fait un scandale parce que son gamin de 14 ans était venu acheter une revue de tunning dans laquelle il y avait de jolies dames légèrement vêtues. A qui j'ai dû longuement expliquer que c'était une revue de tunning et que certes il y avait des pétasses à moitié à poil dedans, mais que c'était en vente libre... et qu'à 14 ans, je supposais que son fils avait déjà vu des filles en maillot de bain.

 

... de la mamie qui nous volait Télé Z tous les lundis et qu'on a mis un sacré moment à choper en flagrant délit.

 

... du monsieur qui entrait dans le magasin avec des gouttes de sueur grosses comme le pouce, tous les 1er jeudi du mois, pour acheter ses revues X : systématiquement une sur les vieilles, une sur les grosses et une sur les travestis et qui, en 6 ans, a toujours réussi à esquiver mon regard.

 

... d'une femme qui venait régulièrement avec sa petite fille de 4 ans, et qui est arrivée un jour d'été avec une brûlure énorme sur tout le bras et l'épaule. l'Homme lui a dit "ben dis donc, vous avez un sacré coup de soleil"... c'est la petite fille qui lui a répondu "non, c'est papa, il a tapé maman et il lui a jeté la casserole d'eau bouillante". L'horreur.

 

... de ce type ultra bizarre qui adorait l'Homme (ce n'était pas réciproque du tout, mais l'autre ne se rendait compte de rien) et lui expliquait qu'il était un grand sportif. Et qui, pour appuyer ses dire, a fait tout le tour du magasin sur les mains, sous le regard ébahi des gens présents dans la boutique.

 

... de ce monsieur qui ne savait pas compter et qui me disait toujours en me tendant son porte-monnaie "allez-y, servez-vous, j'ai oublié mes lunettes" et qui n'a jamais soupçonné que je savais.

 

... de ce petit papi qui avait une maladie grave, que les pompiers emmenaient très régulièrement en urgence, et dont la femme m'a dit maintes fois "ils m'ont dit que c'était fini". Et qui revenait quelques semaines plus tard chercher sa baguette, tout seul. Jamais vu une énergie pareillle. Je l'ai encore croisé récemment, il me fait la bise chaleureusement et ne se plaint jamais, a toujours une petite blague en réserve.

 

... de ceux qui sentaient tellement mauvais qu'on allait immédiatement ouvrir la porte même par -5°, de celui qui me reluquait le décolleté, du gamin qui piquait des bonbons, de la mamie qui doublait tout le monde, du sale con raciste, de notre seul lecteur de l'Huma, de la gamine de 14 ans enceinte jusqu'aux dents, du petit vieux qui nous racontait une histoire drôle chaque matin, de Ludo, un jeune qui venait jouer son loto foot tous les jours et qui s'est tué en voiture, de celui qui marmonnait toujours "c'est bien fait pour leur gueule" (la gueule de qui et pourquoi, ça on a jamais su, mais il le disait quasiment en boucle), de celle qui lisait dans les rayons mais n'achetait jamais rien, de celle qui avait les yeux vides et qui annonait "ma*lboro... ma*lboro... ma*lboro... ma*lboro" en se balançant d'un pied sur l'autre, de celui qui arrivait toujours à 19h31 alors que le magasin était sensé être fermé, de celui qui est venu jusque dans notre jardin un dimanche après-midi (nous n'habitions pas sur place) pour voir si on ne pouvait pas ouvrir le magasin parce qu'il était en panne de clopes...

 

C'est un métier très dur, 7 jours sur 7 et minimum 90 heures par semaine. Mais par contre j'ai plus appris sur les gens en 6 ans que dans tout le reste de ma vie.  Nous étions dans un quartier populaire et avons donc pu nous rendre compte de la difficulté de simplement "survivre" pour bon nombre de gens (chômage, retraites minables, violence conjugale, alcoolisme...). On a arrêté parce qu'affectivement, on n'arrivait plus à supporter.

 

Pourtant - et heureusement -  il y avait plein de moments légers, drôles, intéressants. Nous avons aussi croisé des tas de gens qui n'avaient pas de soucis majeurs ; et également des clients très cultivés, avec qui on discutait, les passionnés de littérature, les férus d'économie, les fous de cinéma etc...

 

Tout ça pour dire qu'après plus de 6 mois de break, on se demande si on ne va pas racheter un commerce du même genre. Parce que finalement ça nous plaisait bien.

 

L'idée de cet article m'est venue suite à une anecdote racontée dans son blog par Thé Citron.

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B
oui, il faut donner beaucoup... se laisser soi-même de côté beaucoup aussi... mais heureusement on reçoit aussi un peu !
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B
mais en fait rien n'est décidé encore... on continue à réfléchir...
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B
ah oui, j'avoue que le coup du type qui fait le tour du magasin sur les mains, on était sciés à la base !
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N
le commerce c révélateur de plein de choses! mais c'est vrai qu'il faut aussi donner beaucoup...
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N
retour a ses premeieres amours!!! meme si c'est pas la premiére en tous les cas la derniére..j'aime cet article par ta façon d'avoir aimé ou detesté ces gens rencontrés... plein de petites rencontres furtives finalement mais qui t'apporte tant de chose.je comprend ce qui semble etre un regret...alors tant pis pour le camping... y a que les imbeciles qui changent pas d'avis..
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